Le Saxophone

à travers le Jazz

Histoire croisée du jazz et du sax 1/5

Du premier débarquement à Jamestown en Virginie (1619) à la naissance concrète du jazz, trois siècles s'écoulent pendant lesquels les esclaves noirs, arrachés à leurs cultures ancestrales, reconstruisent petit à petit une musique mixte, née de la confrontation des cultures africaines et européennes.

Du Negro Spiritual au blues (1619-1850)

Les "Field Hollers"

Sans instruments, confisqués par les esclavagistes, sans unité culturelle, familles et ethnies étant dissociées avec interdiction de converser en langue africaine, les esclaves américains commencent par réinventer des chants dont les rythmes scandent leur travaux. Ces chants, les "field hollers", marquent profondémment leurs auditeurs de culture européenne de par leur scansion très marquée, leur glissement mélodique et leurs allers-retours rapide de la voix de poitrine à la voix de tête sur le timbre particulier des voix africaines. Jugée propices au rendement et nécessaires au maintien du moral des troupes, elles sont encouragées par les propriétaires.

Le Negro Spiritual

En 1927, le principe selon lequel un être maintenu en esclavage ne peut être évangélisé est aboli par l'evêque de Londres. Dès lors, et afin de tuer dans l'oeuf les révoltes potentielles, les esclaves sont convertis en masse au protestantisme. De cette nouvelle culture musicale, ils adoptent le repons (chant alterné entre l'officiant et l'assemblée) et l'harmonisation à l'européenne, en les africanisant par des improvisations et des accentuations à contretemps : le negro spiritual est né.

Les "Gospel Song"

Même si le spiritual authentique ne disparaît pas, l'affranchissement des esclaves à la fin du XIXème siècle fait naître une nouvelle forme de spiritual, inspiré du répertoire protestant légèrement édulcoré pour plaire au public blanc, dont la principale caractéristique est d'être particulièrement adapté aux concerts.

De la note bleue au Blues (1850-1920)

Des récits certainement psalmodiés dans les cases, réminiscence de la culture africaine influencée par le folklore rural américain, nait, à l'issue de la Guerre de Sécession, le Blues. Issu des ballades américaines, le blues s'enrichit des caractéristiques du work song et des field hollers : rugosité de la voix, sensualité du timbre et du phrasé, priorité du tempo sur la forme (ce dernier pouvant disparaître complètement comme c'est le cas dans les "talking blues").

Génés par la répartition de hauteur dans la gamme européenne, dite "tempérée", les chanteurs noirs l'adaptent à leur voix, y introduisant des notes caractéristiques de la gamme mineure. Ces notes, parfois chantées sur les accords majeurs correspondants, déstabilisent profondément les accords par les contradictions internes qu'elles créent. Appelées "blue notes", elles deviennent les bases d' une nouvelle forme d'harmonisation, le blues.

Le blues est généralement utilisé pour décrire le désarroi et la misère profonde des noirs américains après l'abolition de l'esclavage, dus à la ségrégation sévère que leur impose la société sudiste humiliée par la défaite. Le sentiment le plus couramment évoqué est une forme de résignation face à l'horreur de la situation (refus des droits civiques élémentaires, dénuement économique profond, chômage, actions racistes du Ku Klux Klan,...). Le blues se conjugue toujours à la première personne et traite de sujets d'actualité à travers l'expérience personnelle du bluesman, musicien itinérant, vivant en marge de la société, soit par obligation soit par choix, se surprenant même parfois à adopter un ton moralisateur.

Le blues acquiert sa forme définitive quand il commence à être produit sur scène. Le chant s'accompagne à la guitare et à l'harmonica. La structure à 12 mesures devient un standard au début du XIXème siècle (1920) alors que les audaces harmoniques de certains musiciens ont déjà donné naissance au jazz. Le blues, son "ancêtre", commence alors son développement personnel, distinct de l'évolution du jazz. Il sera précurseur de la naissance du rock et sa fusion avec les gospel songs engendrera le célèbre "Rythm's & Blues".